Les vendanges 2021 en Vallée du Rhône : un retour aux grands classiques

Un retour aux grands classiques, après une saison viticole insaisissable. Après 5 années chaudes, parfois caniculaires et marquées par des précocités exceptionnelles comme en 2020, l’année 2021 laissera une empreinte indélébile dans le coeur des vignerons. Malgré une saison sans quiétude, le travail des hommes aura permis de révéler un millésime aux profils que l’on avait presque oubliés. Au lendemain de ces vendanges, les équilibres sur les Ermitages blancs donnent des vins d’une grande minéralité et l’élégance des Syrahs rappelle un authentique millésime de la Vallée du Rhône Nord.

Au 18 janvier, nous sommes prêts pour démarrer la taille… mais voilà que la neige se met à tomber sur l’Hermitage. L’opération est donc décalée malgré nous de quelques jours, sans savoir à ce moment-là que cela nous sera bénéfique dans l’avancement de la saison.

Début février, alors qu’un soleil radieux illumine le ciel depuis plusieurs journées, les équipes avancent sur la taille. Les plaines les plus sensibles aux éventuelles gelées blanches sont faites en dernier. La pose du badigeon sur les plaies s’ensuit. Cet hiver est néanmoins marqué par de faibles pluviométries et une relative douceur. Tout cela vient nous faire craindre un millésime sec et très chaud. D’autant qu’en Vallée du Rhône Sud, à peine 100 mm de pluie seront enregistrés sur le premier trimestre. Au 25 mars, le débourrement s’amorce sur tous les Domaines, que ce soit en Hermitage ou en Côte-Rôtie, les bourgeons sortent de leur coton, les pleurs battent leur plein et on commence à voir les premières feuilles sur les secteurs qui ont bien réchauffé. À date nous enregistrons un retard – relatif – d’une semaine par rapport à 2020.

À la veille du week-end de Pâques, une vague de froid est annoncée sur la France. Des températures négatives sont également prévues pour la Vallée du Rhône. En ce vendredi 3 avril, ne pouvant nous résigner à ne rien faire, nous cherchons des solutions d’urgence. Comment réchauffer l’atmosphère ? Mardi 7 avril, nous installons des bougies sur les coteaux et nous construisons des brasiers avec des tas de bois… En espérant à ne pas avoir à éclairer. Dans la nuit du 7 au 8 avril, à 23 h, il fait déjà 0 °C degré. Nous attendons encore un peu avant d’éclairer mais nous n’avons pas le choix. Les stations météo s’affolent et se mettent à envoyer des SMS sur nos téléphones…

Nous passons en négatif sur Ampuis, Chasse-sur-Rhône, Condrieu, Saint-Péray et sur Crozes-Hermitage. “Tu crois que ça va marcher ?” Il est 2 h du matin, l’Hermitage est illuminé de mille feux. Nous arrivons à maintenir la température à 0 °C grâce aux bougies et aux brasiers. La nuit est longue et froide… Au lever du jour, quand la température repasse en positif, nous éteignons. Il sera temps de faire le bilan dans la journée. Et voilà que les alertes se déclenchent sur Châteauneuf-du-Pape… Ce n’est pas possible ! Dans l’après-midi, le verdict tombe : Ampuis est très fortement touché par le gel, tout comme une partie des Condrieu. Les hauts du coteau de Varogne qui n’avaient pu être protégés sont également gelés. Les Saint-Joseph sur Tournon-sur-Rhône sont épargnés, tout comme l’Hermitage qui s’est embrasé. Il y aura donc un avant et après 8 avril 2021.

Il nous faut plusieurs jours pour nous remettre de cette nuit de gelée noire. Tout semble s’être figé dans les paysages, dans les vignes qui doivent elles aussi surmonter cet épisode. Il faut arrêter les équipes pendant plusieurs jours… Et l’absence de pluie en ce mois d’avril renforce nos inquiétudes sur le redémarrage de la vigne.

Enfin au 1er mai, il pleut ! L’eau vient redynamiser la vigne et la repousse végétale. En quelques jours, tout se débloque sur les parcelles et la vigne se met à pousser à une vitesse extraordinaire ! Les Grenaches dans le Sud repartent bien. Mi-mai, les coquelicots rougissent les coteaux de l’Hermitage et l’herbe se met à apparaître… Le paysage viticole est métamorphosé, ça vit. Autant dire que pour les équipes, l’activité reprend de plus belle. Le marathon de cette saison interminable commence.

Voilà qu’un premier orage printanier éclate avec quelques petits grêlons… Prémices d’un été qui bousculera les 5 dernières années passées. Fin mai, on dépasse déjà le haut des échalas, les ébourgeonnages débutent alors que les attachages et les relevages sur les Crozes-Hermitage s’enchaînent également.

Au 9 juin, les premières fleurs apparaissent sur Ampuis… Enfin, sur les inflorescences qui sont sorties. Car on cherche sur la Côte Brune et sur la Blonde des futures grappes… Neve a eu plus de chance. Le travail d’ébourgeonnage est précautionneux, de façon à préparer déjà les bois qui serviront à la taille de 2022. Et l’adaptation des équipes est nécessaire sur ce millésime où il faut ajuster les travaux en vert en fonction de leurs dégâts (ou pas) dus au gel. Mais, au fait, il pleut ! Et encore… Presque 200 mm de pluie sur ce mois de mai. On oublie vite notre crainte de stress hydrique en Vallée du Rhône. Il faut déjà écimer à Tain l’Hermitage où la vigne ne s’arrête plus de pousser.

Au 13 juin, la floraison est déjà finie sur les coteaux, en un éclair, alors que sur les plaines elle bat son plein. Nous ne sommes donc pas si précoces que ça. Comme quoi, en quelques jours, tout peut changer. Nous retrouvons le moral, la vigne est belle, la floraison s’est bien passée. Alors que sur les Grenaches à Châteauneuf-du-Pape, la coulure n’est finalement pas aussi désastreuse… Mais les parcelles gelées présentent néanmoins une charge allégée. Fin juin, les tâches de mildiou commencent à sortir sur les Marsannes. Nous enregistrons 100 mm de pluie supplémentaires. En conséquence, le coteau du Méal est verdoyant comme il ne l’a pas été depuis longtemps.


En Vallée du Rhône Sud, c’est l’inverse : il est presque temps de déclencher les irrigations… À peine 5 mm sur juin mais les apex poursuivant leur croissance, nous attendrons. Aucune pression cryptogamique en vue. Mi-juillet, du rot brun apparaît par endroits et sous la pression, des baies coincées éclatent. Voilà que du botrytis vient s’installer. Eau, chaleur…

Tout est réuni pour la sortie précoce des champignons. Et de l’oïdium aussi. Alors après les traitements, les infusions de plantes, les écimages, les tontes des parcelles, ce sont les effeuillages qu’il faut commencer. Et parfois, nous devons sortir pulvériser à dos dans les plaines. Nous nous adaptons rapidement. Nous reprenons le rythme des millésimes passés… Des millésimes de vignerons ! Il ne faut rien lâcher : alors que nous nous étions presque habitués au rôle protecteur du soleil et de la canicule, cette année le travail du vigneron est important pour mener à terme la récolte.

Fin juillet, les premières grappes de Syrah commencent à vérer. Enfin ! Mais en y regardant de plus près, nous sommes sur les pas d’un millésime 2013 et très loin de 2020 bien sûr. L’état sanitaire, qui commençait à être préoccupant, se stabilise avec le beau temps et la chaleur qui arrivent début août. Sur Condrieu, la course après l’herbe et les écimages n’en finit plus. Sur les Crozes, quelques parcelles sont relevées en retard. Cela ne pardonne pas, le rot brun vient marquer les grappes de son empreinte. 31 juillet, un orage violent éclate. Les dégâts sont très localisés sur Mauves. L’Hermitage échappe de nouveau aux aléas climatiques. L’Ermite veille…

Mais au 15 août, voilà que le ciel gronde de nouveau. Pas de répit ! Des premiers foyers de pourriture acide sont observés. Alors rapidement, nous reprenons les effeuillages comme si rien ne s’était arrêté. Nous commençons le tri sur les quelques parcelles qui ont été fragilisées. Le rythme de la saison est soutenu et insaisissable, mais nous restons mobilisés… Nous savons déjà qu’il faudra faire preuve de patience et pousser au maximum les parcelles pour aller chercher les équilibres que nous souhaitons sur les blancs et le phénolique des Syrahs.

Le contraste entre Vallée du Rhône Nord et Sud est plus que marqué. Le paysage sec du Sud vient contraster avec la verdure dans le Nord. Le bilan pluviométrique suffit pour comprendre : 700 mm dans le Nord et 300 mm dans le Sud en cette fin d’été.

Les Marsannes prennent leurs belles couleurs dorées, signe annonciateur d’une maturité qui approche. Les coteaux également, ces coteaux qui drainent l’eau et permettent de maintenir un état sanitaire remarquable au vu de la saison passée. Les parcelles les plus contraintes sont métamorphosées avec cette saison qui rappelle le passé, avec l’effet bienfaiteur de l’eau et de la fraîcheur sur le végétal. Les premières dégustations de baies couplées aux analyses nous amènent vers mi-septembre pour ces vendanges 2021. Patience…

À Châteauneuf-du-Pape, les Syrahs et les Grenaches profitent d’un climat estival idéal pour poursuivre leur maturité sans contrainte particulière. Là aussi, le millésime s’annonce plus tardif, conséquence du décalage du printemps

Nous réajustons donc les équipes de vendangeurs pour être sûr d’avoir la force de frappe nécessaire afin de pousser les maturités. Le retour des chaleurs sur septembre fait du bien au moral… et aux baies de raisins. Les peaux des Syrahs s’affinent tout doucement. Les pépins brunissent déjà sur le coteau de Saint-Joseph. Au 13 septembre, nous démarrons les vendanges par le coteau des Murets (De l’Orée), les Marsannes ont atteint un bel équilibre avec notamment des P.H. prometteurs, signe des grands blancs.


Tout s’accélère ensuite… Les Syrahs, jusque-là timides, commencent à s’affirmer et à évoluer à grande vitesse, avec l’aide du vent du Sud qui s’est levé. Samedi 18 septembre, sous un lever de soleil exceptionnel, nous cueillons Le Méal blanc. Alors que les blancs s’enchaînent doucement, nous débutons aussi la cueillette des rouges. Les chemins de taille modifiés en début de campagne nous rattrapent, les blancs et les rouges se préparent pour une cueillette simultanée. Le point de rupture est notre fil conducteur : aller chercher les baies au dernier moment.

Le Pavillon, magistral, est cueilli le 24 septembre. Le lendemain, les grondements de tonnerre agitent la nuit, un bruit sourd, des éclairs, des pluies finalement contenues en comparaison du fracas qui dure des heures. Impossible de dormir… Demain, il faudra enchaîner. Pendant les 15 jours suivants, les vendanges s’accélèrent à un rythme soutenu. Il faut parfois effectuer un tri. Sur Coteau de Chery, les Viogniers évoluent rapidement et les notes de bergamote s’effacent pour des arômes épicés, de curry, rarement observés mais qui reflètent ce millésime particulier.

Ampuis ne s’est pas fait attendre cette année et à la veille d’un nouvel orage, nous allons chercher Neve et la Mordorée. Chante-Alouette et L’Ermite semblent vivre autrement ce millésime, comme intouchables par ce qui se passe autour : les grappes sont splendides. Chabot sans grande surprise vient clôturer cette saison 2021 au 7 octobre, parcelle hors du temps.

Le mois d’octobre est bien entamé… Un peu de repos pour nos vignerons après une saison interminable, où le travail des hommes a permis d’amener une vendange qualitative en cave. Les raisins de ce millésime 2021 révèlent des vins aux facettes septentrionales bien marquées.

En cave, le millésime s’exprime d’ores et déjà par une très belle tension et une grande finesse sur les blancs. Le profil des rouges est plus aérien que ces dernières années, avec une complexité aromatique et un drapé de tanins remarquables. La belle acidité des Marsannes à la récolte engendre la réalisation plus fréquente de la fermentation malolactique et des bâtonnages plus rapprochés. L’élevage sur lies totales va nourrir les vins et leur permettre d’obtenir un bel équilibre et une complexité aromatique optimale. Avec leur profil typiquement septentrional, les Syrahs nous font revenir cette année à des méthodes de vinification plus classiques qui avaient été mises de côté sur ces derniers millésimes plus solaires. Les temps de remontage sont revus à la hausse, la fréquence des pigeages également. Les nez sont racés, marqués par un caractère poivré et floral. Les bouches sont délicates et fraîches avec des tanins soyeux. Le temps d’élevage et le recours à davantage de pièces bourguignonnes (228 litres) vont permettre de sublimer la matière première.

La rigueur climatique du millésime a eu pour vertu de mettre en avant les caractéristiques des différents Terroirs, en rouge comme en blanc. Sans surprise, les plus jolis coteaux de chaque appellation en sortent sublimés. Une fois encore, les Terroirs granitiques de l’AOP Hermitage (lieu-dit Ermite, lieu-dit Les Bessards) règnent en maîtres incontestés du Rhône septentrional. Une mention spéciale est accordée aux Syrahs des plus jolis coteaux de l’AOP Cornas (lieu-dit Les Côtes) et à l’AOP Saint-Joseph des secteurs de Tournon-sur-Rhône et de Mauves (lieu-dit Montagnon, lieudit Saint-Joseph, lieu-dit Le Clos). Éclat, finesse et élégance aromatique resteront les fils conducteurs de ce millésime 2021. Il marche dans les pas de quelques-uns de ses glorieux aînés, pour lesquels justesse de maturité rimait avec race et grande complexité.