Vallée du Rhône, le rapport des vendanges 2018

2018 : un millésime plein de belles surprises !

Qui aurait dit que ce millésime 2018 allait provoquer autant d’exaltation et venir s’ajouter aux remarquables millésimes qui s’enchaînent depuis 2015 dans la Vallée du Rhône… Doté d’une certaine singularité notamment sur les Saint-Joseph, les Côte-Rôtie et les Ermitage qui magnifient la syrah par une maturation parfaitement aboutie.

On s’était donc préparé au début de cette année 2018 à vivre et à subir les aléas climatiques de cette année, qui devait sans doute rompre la succession des beaux millésimes. On s’était donc préparé à ce que les caprices de la nature s’abattent durant la saison viticole et nous fassent vivre jusqu’au bout une saison intense… Et c’est peu de le dire, tant il a fallu faire preuve de sang-froid et ne pas baisser les bras.

En ce début d’hiver, les pluies viennent à point pour refaire les réserves hydriques durement affectées en 2017, entraînant avec elles une relative douceur pour ce mois de janvier. Le ton était donc donné – déjà 110 mm…

C’est donc au 18 janvier que la taille a débuté sur le Méal (Ermitage) pour se poursuivre sur les autres secteurs et avec elle le passage du badigeon sur les plaies de taille. C’est aussi la période où l’on prend le temps de parcourir les coteaux dévêtus de leur feuillage pour faire l’état des lieux des murs à remonter, des agouilles à entretenir, des échalas à changer. Le temps pour faire le point sur les chantiers de plantations à venir, programmer les arrachages de quelques terrasses de vignes anciennes, préparer le coteau à passer d’une génération à une autre : la transmission.

Enfin ! Les températures ont pris une vraie connotation hivernale pour atteindre les -8 °C sur Tain l’Hermitage en février.

À l’horizon printanier tout était au ralenti. La végétation était comme arrêtée et le printemps a eu du mal à s’installer, avec de la pluie… de la pluie… Plus de 130 mm enregistrés sur le mois de mars.

Du nord au sud, on avance sur les chantiers de plantation tant bien que mal et dans la vallée du Rhône septentrionale on voit naître, de-ci de-là, des percées au milieu de la verdure… ça plante.

À Montfrin, notre domaine Saint-Étienne en Côtes-du-Rhône, les premières petites fleurs printanières sont déjà écloses, les coccinelles entament leurs amours et les premiers pleurs s’observent sur la vigne ; la sève coule à flots.

Sur Ampuis, les travaux sur le coteau de Neve (Côte-Rôtie) se finissent et voilà qu’on pose les dernières pierres des murs qui resteront là pour une centaine d’années, comme l’empreinte d’un passage.

Mi-avril, le débourrement est bien entamé sur les Greffieux (Ermitage) et les premières feuilles font leur apparition sous une température moyenne assez élevée, avec des pics journaliers montant jusqu’à 30 °C ! Et là, c’est donc tambour battant que la végétation s’est développée. Chaleur, eau, que fallait-il de plus ? Pour voir la vigne se mettre à se mouvoir frénétiquement dans les parcelles et prendre son beau feuillage vert.

Dans le “nord”, une course effrénée débute sur les travaux en vert et on peut admirer, entre quelques pluies, le printemps qui commence enfin à se lever avec les premiers coquelicots qui colorent les parcelles verdoyantes. Cela va très vite désormais.

Le 8 mai, les inflorescences sont déjà bien apparentes et il faut attendre encore quelques jours (le 27 mai) pour pouvoir humer dans le Méal et les Murets (De L’Orée) le parfum de ce doux pollen enivrant de la fleur de vigne. Les capuchons tiennent et auront du mal à se décoller des baies… Mais sans conséquence pour ce millésime. Le 30 mai, les orages sont de retour et entraînent une légère coulure sur les fleurs de syrah, dans les plaines des Crozes-Hermitage.

Tandis que dans le “sud”… C’est un combat contre le mildiou qui s’est amorcé sur les secteurs précoces début juin, conséquence des précipitations printanières – avec plus de 600 mm déjà à mi-année. Les premières sorties du mildiou sur feuilles sont passées presque inaperçues car sur les grappes, à peine au stade petit pois, il s’était déjà installé. Une attaque fulgurante sans conséquence sur la qualité des baies mais qui réduira la quantité des raisins. Tout le monde est dans les vignes et tente de lutter contre le champignon… On attend avec impatience que le mistral se lève… car pour le moment il reste inhabituellement absent.

Le retard s’accumule à cause des pluies pour terminer les derniers chantiers de plantation. Cependant, l’eau accumulée sera précieuse pour passer la période estivale à venir…

Cet été… Mi-juin à Valliguières (Domaine Roc Folassière), quelques traces de coulure sur les grenaches sont là mais le végétal s’est bien remis de l’épisode gélif de l’an dernier et les parcelles s’épanouissent.

Début juillet à Saint-Barthélémy-de-Vals (La Combe Pilate), la croissance du végétal n’en finit plus et les écimages s’enchaînent. L’eau a été plus que bénéfique, les grappes de viognier déjà bien développées annoncent une belle récolte.

Sur Châteauneuf-du-Pape, après la virulence des attaques du mildiou, qui résiste néanmoins aux conditions climatiques qui lui sont devenues (enfin) totalement défavorables (mistral et des températures supérieures à 30 °C), la lutte des vignerons porte ses fruits, les baies de grenache sont en train de grossir.

Escapade sur les Coirons de Mirabel, l’ambiance est apaisante, protégée des tumultes du sud. The perfect balance, on s’y sent bien… et tout calmement les viogniers s’épanouissent.

Mi-juillet, sur Montfrin (Domaine Saint-Étienne) on est revenu au calme et la chaleur commence enfin à réchauffer les galets roulés… et les calcaires de Valliguières (Domaine Roc Folassière).

À Chasses-sur-Rhône (Lucidus), une petite sortie de mildiou apparaît mais la canicule arrivant sur les coteaux de schistes et l’absence d’eau ont mis fin rapidement à cette attaque.

Sur la Côte Brune (Côte-Rôtie), la syrah s’épanouit à merveille avec une récolte qui s’annonce également prometteuse. Tandis que sur la Côte Blonde, on découvre sur quelques pieds l’apparition de la liane cuscute (plante parasite qui peut apparaître les années très sèches, souvent après des hivers pluvieux, cette plante réagit très fortement aux changements climatiques). Spectacle étrange qui nous est donné où la vigne enlacée devient prisonnière… il a fallu détacher ces lianes pour laisser la vigne tranquille. Quand les plantes sont indicatrices…

Le coteau des Condrieu de Limony, avec son versant abrupt, semble déjà un peu marqué par la chaleur qui emplit l’air. Il est vrai que les températures commencent à grimper, grimper… Un été caniculaire s’annonce.

Et la véraison débute… Le petit passage de grêle sur Saint-Péray laisse quelques traces sur les bois mais épargne les grappes ; cela a néanmoins laissé une porte ouverte à une attaque modérée du mildiou.

Le coteau des Granits (Saint-Joseph) se pare d’un nouveau mur et on prépare déjà le terrain qui d’ici quelques mois portera la nouvelle plantation en son extrémité.

Sur le Clos (Saint-Joseph), la véraison bat son plein, tandis que les marsannes sur l’Hermitage ne bougent pas beaucoup.

Dernier tour sur le Méal, qui n’a jamais été aussi vert en cette période estivale…Magnifique et prometteur pour les vendanges. Sur les Greffieux, les premières baies rougissent déjà aussi sous le soleil.

Le compte à rebours… 11 août, avant-hier un orage a éclaté et un épisode cévenol “d’été” passe et remonte la Vallée du Rhône… Étrange en cette période… Mais après plus de 3 semaines de canicule qui viennent de s’écouler, c’est une pluie bienfaitrice qui tombe sur les raisins et qui va permettre d’amener les baies à pleine maturité. Les marsannes entament désormais leur métamorphose et se mettent à dorer…Parfait pour enchaîner avec la dernière phase de maturation…

17 août, les premiers tours quotidiens des parcelles débutent pour suivre leurs derniers pas de maturation et venir récolter les baies juste quand il faut.

Mais patience, patience, car il faut prendre son temps. Les marsannes dorent tranquillement sous le soleil et les roussannes dans le sud prennent également le temps. Qui aurait dit qu’avec cette chaleur cela n’allait pas être plus précoce… On déguste et on voit bien qu’entre l’aspect et les couleurs, la pulpe de nos baies prend son temps… Heureusement, les acidités sont conservées sur les blancs, protégés également par une pellicule qui s’est endurcie… Et puis le moment de prendre les premières décisions arrive.

Cette année on débute par le Méal, au lever du soleil en ce 23 août… L’équipe se réunit en haut du coteau pour écouter les premières consignes de coupe, la cueillette de nos premières marsannes. On prend le temps nécessaire pour démarrer et laisser le soleil se lever au loin derrière les collines des Murets et que la lumière matinale vienne illuminer le coteau. Les seaux se remplissent et les premières hottes sortent, c’est parti !

Les pluies ont débloqué les raisins et désormais les baies commencent à bien évoluer, chaque jour la dégustation se précise et avec elle les caractéristiques du vin à naître. Ces dégustations laissent présager de beaux tanins et de belles acidités sur les rouges qui seront utiles pour les vins de garde.

Les grenaches à Valliguières (Roc Folassière) sont magnifiques et sur l’Agasse, les vieilles vignes portent déjà un fruit exceptionnel.

30 août à Châteauneuf-du-Pape : le végétal ne stresse pas malgré la chaleur et la maturation se fait tout doucement, tout doucement sur les grenaches… Avec la chaleur écrasante, il faut garder son sang-froid et ne pas se précipiter.

Pendant ce temps, on débute les vendanges sur le Domaine Saint-Étienne à Montfrin avec les roussannes. Et les rouges enchaîneront quelques jours plus tard. Grâce aux réserves hydriques contenues dans les argiles sous les galets, les baies ont mûri en conservant une fraîcheur et un fruit qui s’annonce très gourmand.

31 août, Esteban (Combe Pilate) : un dernier tour de la parcelle le temps que l’équipe arrive et on débute la cueillette de ses viogniers pour cet effervescent atypique.

Sur les pentes granitiques des Bessards (Ermitage), les choses commencent à fortement bouger, tout évolue vite avec la chaleur qui persiste et quand il faudra y aller, il n’y aura pas de temps à perdre si on veut éviter des maturités excessives.

Sur les coteaux de Condrieu, un dernier passage pour vérifier l’évolution des viogniers où la fraîcheur apportée par des notes citronnées de cardamome, étonne. Alors le 4 septembre, sans hésitation, Chery est récolté.

À Ampuis, sur les Côte-Rôtie, les peaux affinées sont presque prêtes. Les chaleurs aidant, les pulpes se nourrissent déjà d’une couleur intense. Le temps le permettant…encore du soleil à venir, on décide de pousser encore de quelques jours pour atteindre l’optimum… L’excellence.

Le 5 septembre sur L’Ermitage, les marsannes de De L’Orée sur le coteau des Murets sont récoltées… Dotées d’une pellicule bien dorée et d’une pulpe avec un brin d’acidité, que l’on souhaite préserver pour que l’équilibre dure.

Le jour qui allait faire de 2018 un millésime superbement abouti : le 6 septembre…

Avec une pluie d’une dizaine de millimètres. Pluie, qui après ces journées caniculaires et les prochaines annoncées, a tout débloqué. Et là, il a fallu enchaîner pour ne pas passer à côté du millésime et ses excès solaires, les journées fleurtant quotidiennement avec les 30 °C et plus parfois. Mais la biodynamie nous a fortement aidés à maintenir l’équilibre global sur le végétal et dans les fruits de la vigne.

7 septembre, les Granits blanc, sur le coteau de Saint-Joseph, sont récoltés…tout en suivant avec une grande vigilance les évolutions des maturités, avec des degrés qui commencent à grimper. Alors les vendangeurs enchaînent des journées rythmées par l’intensité du soleil… Pour cueillir à temps ces baies avant qu’elles ne franchissent le cap et préserver ainsi l’expression de la minéralité des vins.

 

Et la course effrénée de la cueillette démarra… Top départ…

10 septembre, au petit matin, L’Ermite blanc, préservé sur les hauteurs de l’Ermitage et sans contrainte a profité à merveille de cette chaleur. Son éclat minéral et salin est déjà perfectible dans nos dégustations de baies. Les vendangeurs sont arrivés pour cueillir les marsannes et iront ensuite descendre le coteau du Méal rouge où la couleur des baies d’un noir profond contraste avec les notes fraîches d’eucalyptus et de fruits exotiques.

11 septembre, déplacement sur Côte-Rôtie pour aller chercher La Mordorée (La Côte Brune, La Côte Blonde) et Neve. La dégustation des baies est incroyable et les peaux affinées avec des pulpes qui révèlent sur nos mains des couleurs violettes et d’encre laissent présager un millésime exceptionnel.

Puis s’enchaînent le coteau de Saint-Joseph avec les rouges de Granits, aux pépins déjà torréfiés, et Le Clos.

12 septembre, c’est l’indomptable Les Greffieux et ses baies aux arômes atypiques pour cet Ermitage.

13 septembre, le coteau de Varogne (Varonniers) qui a mûri superbement dans l’ombre des Bessards. En parallèle les vendanges ont démarré sur les plaines des Crozes-Hermitage.

14 septembre, le Pavillon et son coteau majestueux. Les petites baies sur les granits sont parfaites.

15 septembre, les viogniers de La Combe Pilate, avec une exceptionnelle maturité et une acidité préservée de la chaleur, par son altitude.

16 septembre, ont été récoltés les piémonts de L’Hermitage en rouge (Monier de la Sizeranne) et en blancs (Chante-Alouette) qui seront balayés d’Est en Ouest. Sur Saint-Peray, on récolte aussi le Lieu-dit Hongrie.

17 septembre, accompagné de l’équipe des sommeliers d’Anne-Sophie Pic, au lever du soleil, on récolte le Saint-Péray Lieu-dit Payrolles, d’une incroyable salinité, déjà.

18 septembre, l’Ermite (Ermitage). Avec une grande promesse tant les baies sont colorées, et des tanins qui dégagent déjà un grand potentiel.

20 septembre, la Couronne de Chabot (Alleno et Chapoutier) sur les hauteurs de Tournon, superbement abouti.

Petit break après une course effrénée au travers des coteaux, pour recommencer le 25 septembre et finir les vendanges dans la Vallée du Rhône nord par les Cornas (Temenos), qui ont atteint une maturation optimale. Ils ont bénéficié magnifiquement du soleil et de la chaleur, perchés sur les hauteurs ardéchoises.

Les vendanges ont débuté le 11 septembre sur Châteauneuf-du-Pape avec les syrahs. Puis on a attendu, non sans impatience, les grenaches. La récolte se fait vite car moindre, mais avec des raisins dotés d’une maturité parfaite, des tanins fins et des notes de fraise sur Croix de Bois qui contrastent déjà avec une certaine austérité marquée sur Barbe Rac, et qui viennent clôturer agréablement un millésime après une saison viticole compliquée. Cependant, les efforts fournis jusqu’au bout donnent un potentiel exceptionnel et remarquable sur les grenaches. Ce n’est donc que le 27 septembre que Croix de Bois entre en cave et le 1er octobre Barbe Rac…Quelle patience, pour attendre la parfaite maturité de nos grenaches !

Et on clôture ainsi le millésime 2018, sous une chaleur encore étonnante !

Quel sacré millésime ! Riche d’intensité avec des incertitudes du nord au sud jusqu’à ce mois de septembre exceptionnellement chaud et finissant avec un dernier sprint pour faire de 2018 un millésime ô combien joli et prometteur.

Un millésime où il a fallu être réactif pour pallier les excès caniculaires, mais qui permet d’aboutir à des vins de grand potentiel de garde par des acidités préservées et des tanins soyeux. Avec un travail en cave sur les cuves, qu’il a fallu également adapter pour éviter de trop extraire, pour conserver cet équilibre. Alors oui, 2018 viendra surprendre avec son côté singulier, marqueur d’une année viticole incroyable !

Lundi 29 octobre, la dernière cuve vient d’être écoulée… Barbe Rac – les équipes terminent cette campagne de vinification autour d’un repas.