Le millésime 2022 en Vallée du Rhône : un étonnant et singulier millésime solaire

Il aura fallu rester serein au fil de cette saison, marquée par la sécheresse et la canicule afin d’ajuster jusqu’au dernier moment les travaux viticoles; faire preuve de réactivité quand les pluies salvatrices sont arrivées pour contenir la végétation ; faire preuve de patience pour laisser les maturités aboutir, faisant de 2022 un étonnant millésime finalement plus lumineux que solaire.

Janvier démarre par un air glacial et l’hiver s’installe avec des températures régulièrement négatives. Les réparations des murs en pierre dans les coteaux s’enchaînent puis c’est au tour des murs identitaires de l’Hermitage d’être grattés et repeints pour démarrer cette nouvelle
saison vigneronne.

Nous débutons les premières tailles réparatrices sur les parcelles d’Ampuis, stigmates du gel de 2021. Et très vite sur février, les chantiers de taille s’enchaînent sur tous les Domaines. Nous accueillons également Inès, jeune comtoise pleine de fougue pour faire ses premiers pas dans les parcelles d’Hermitage.

L’arrivée du printemps se fait timidement, au ralenti. Premier signe d’un déficit pluviométrique, renforcé par les sedums déjà aux couleurs rougeâtres (indicateur de manque d’eau). Seulement 70 mm de pluie sur Tain l’Hermitage sur ce premier trimestre, tandis que les températures continuent leur ascension au fil des jours. Pourtant, début avril, une vague de froid nous fait craindre une gelée noire pendant que les premières feuilles débourrent sur le Méal. Ce seront finalement près de 50 mm de pluie qui tombent sur la Colline et qui permettent d’éveiller la vigne ; la nature s’agite, enfin! Tandis qu’en Vallée du Rhône Sud nous continuons à attendre les pluies, qui ne viendront pas…
Le paysage se verdit, mais sur l’ouest des Bessards ce sont de timides rameaux qui émergent, donnant aux vignes une allure miniaturisée,
étrange. Malgré tout, de petites inflorescences font leur apparition. La récolte s’annonce déjà elle aussi réduite.

Rarement un mois de mai fut aussi sec alors que la chaleur continue de s’abattre sur la Vallée du Rhône. Il y aura juste quelques gouttes d’eau qui viendront humidifier le pluviomètre. Nous enregistrons déjà des températures dépassant les 30 °C et c’est sous ce soleil que la floraison débute, le 22 mai. Une floraison éclair, qui ne dura que quelques jours, toutefois homogène, faisant abstraction de l’exposition des parcelles. Les calculs sont vite établis et les projections annoncent une précocité du millésime rappelant 2020.

Fin mai, on totalise 110 mm de pluviométrie en cumul sur le secteur de la Vallée du Rhône Nord, environ trois fois moins que les derniers millésimes. C’est la 3e pluviométrie la plus faible depuis 1959, après 1976 et 2003. Il faudra attendre le mois de juin, avec près de 90 mm de précipitations, pour donner une nouvelle dynamique à la croissance de la vigne. S’ensuit au 15 juin une première vague de canicule subsaharienne qui remonte le long de la Vallée du Rhône par le sud. Canicule la plus précoce jamais observée en France; les températures s’élèvent (régulièrement autour de 30 - 35 °C) tout comme le vent du sud qui se manifeste régulièrement, accentuant les symptômes de sécheresse.


Nous savons qu’il est nécessaire dès à présent de tout mettre en oeuvre pour préserver le feuillage de la vigne afin de protéger les grappes
naissantes et d’éviter les phénomènes d’échaudage, forts de l’enseignement des derniers millésimes solaires. Les travaux en vert devraient être à leur pic d’activité ; les écimages sont au contraire réduits, voire absents, afin que l’ombre portée du feuillage sur les grappes permette ainsi de préserver les acidités naturelles du raisin. D’autant que par endroit, le végétal arrive à peine à la moitié des échalas. Il est plus sage de laisser faire la nature et de patienter. Tous les travaux du sol sont également arrêtés très tôt, afin d’éviter l’évaporation. Nous préférons maintenir un couvert végétal, même minime, pour protéger le sol des excès de température. Les journées de travail sont aussi chamboulées : elles débutent au lever du soleil et sont entrecoupées dans la journée pour attendre que le soleil passe côté Ardèche, mettant dans l’ombre les coteaux, et donc finir au coucher du soleil.

Un premier orage de grêle éclate sur le secteur de Mauves. Les dégâts contenus seront compensés par la suite et il en sera de même à
Châteauneuf-du-Pape. Mais un peu d’eau est bienvenu malgré tout.

Sur le secteur de Condrieu et dans les plaines de Crozes-Hermitage, la sortie de grappes relativement importante semble vouloir compenser les aléas de 2021. Afin d’éviter que l’excès de rendement vienne affaiblir la vigne en ces périodes solaires, nous prenons le parti d’alléger la récolte afin que les grappes sélectionnées puissent profiter au mieux des réserves de la vigne. La suite de la saison nous donnera raison. Dans la Vallée du Rhône Sud, un nouvel orage de grêle passe cette fois sur Valliguières (Roc Folassière) et vient enlever quelques hectolitres par hectares sur nos Côtes-du-Rhône.

Les Marsanne continuent leur nouaison tandis que péniblement, les premières feuilles atteignent enfin le haut des échalas dans les coteaux. Sur les coteaux d’Ampuis, le potentiel de récolte s’annonce prometteur, faisant disparaître les tumultes de l’année dernière. Des premiers signes de contrainte hydrique apparaissent sur les coteaux où affleure la roche mère.

Première semaine de juillet, la véraison s’enclenche déjà sur Les Greffieux (Ermitage). La précocité se confirme et on doit anticiper l’organisation des futures vendanges. Alors qu’une 2e vague de canicule s’abat sur la région, les apex continuent malgré tout leur croissance, signe que la vigne n’est pas encore arrêtée, signe d’une réponse comportementale et physiologique du végétal à son environnement. Grâce aux années de pratique de la biodynamie, la vigne se renforce et s’adapte naturellement face au réchauffement climatique.

À la veille du 14 juillet, quelques signes d’échaudages sur les Syrah en plaine apparaissent malgré tout, conséquence de la montée brutale des températures au-dessus de 38 °C et au soleil de fin d’après-midi, rasant et brûlant. Durant tout cet été, la mobilisation des vignerons sera nécessaire pour l’application régulière des infusions de camomille, d’achillée, pulvérisées au coucher du soleil pour soulager et préserver le feuillage des vignes et éviter que les acidités des baies ne soient brûlées.

Toutefois, le stress hydrique commence à s’installer sur la croupe des Châssis (Crozes-Hermitage) où les galets roulés drainent trop rapidement. Étonnamment le Méal, le plus sudiste des coteaux de l’Hermitage, résiste. Il se renforce au fil des années pour faire face aux contraintes des millésimes solaires.

Alors que la vague de chaleur provenant du sud de la Méditerranée continue, nous allons légèrement piocher autour des ceps pour créer
des cuvettes. L’eau qui arrivera tôt ou tard pourra profiter ainsi au mieux à la vigne. Une ancienne technique reprise pour la culture en coteau. Tout est très sec dans les paysages drômois, ardéchois, les arrêtés de sécheresse tombent et nous ne sommes pas non plus épargnés par les incendies qui agitent le territoire français puisqu’à Tournon, les flammes viennent effleurer une de nos parcelles.

Bien que les pluies de juin et début juillet aient permis d’éviter de fortes contraintes hydriques, le déficit annuel ne peut plus être compensé et force est de constater que les rendements seront affectés. Un contraste se dessine entre les plaines et certains coteaux où des signes de stress hydrique deviennent inquiétants. Le paysage est plus que métamorphosé cet été et de mémoire de vigneron, plus marqué que le précédent 2003 où les piémonts de l’Hermitage verdoyants tranchent avec les coteaux de granit. Pourtant, le Grand Bessard reste imperturbable au milieu de tout cela et continue extraordinairement sa maturation, l’expression des grands Terroirs !

Nous débutons déjà les premières analyses de maturité: les degrés sont très contenus malgré la canicule et l’avancée des maturités phénoliques est bonne. Dimanche 14 août, enfin de la pluie ! Une pluie salvatrice qui nous permet d’éviter le pire et nous offre un net regain de sérénité à la veille des vendanges. Très rapidement les premiers signes sur les raisins se font ressentir.

Contrairement au secteur des Côtes-du-Rhône Sud où un orage de grêle passe sur les communes de Bédarrides et Châteauneuf-du-Pape, les dégâts sont très importants sur le feuillage et les sarments, meurtris. Les grappes impactées cicatrisent vite grâce au mistral qui se lève et qui vient tout sécher. Le compte à rebours s’enclenche néanmoins.

Au 19 août, la croissance du végétal redémarre rapidement et des jeunes feuilles apparaissent sur le secteur de Varogne. Les remplaçants qui avaient grillé repartent et moins de dix jours après la pluie, le paysage se transforme, toute la vie se réactive ! Et la maturation des baies reprend également une certaine dynamique alors que les chaleurs commencent à se dissiper.

Les vendanges débutent précocement le lundi 22 août par Esteban (Combe Pilate) puis très rapidement afin de préserver les acidités par les Marsanne. Tout d’abord par le coteau du Méal puis le coteau des Murets (De L’Orée) le mardi 23 août.

Jeudi 25 août, il faut déjà envisager de ramasser le coteau de Saint- Joseph qui ouvre les vendanges des Syrah du nord. D’Ampuis à Tain
l’Hermitage, le sol se couvre en très peu de temps d’un tapis de pourpiers, signe indicateur de la reprise de la vie dans les sols. Puis se dressent dans les coteaux une multitude de plantes qui viennent chatouiller les grappes de raisin. Les équipes sont alors parties débroussailler les coteaux, fin août, pour maintenir une ambiance aérée et les amener à parfaite maturité. Alors nous comprenons que tout commence à nouveau, que l’eau de ces derniers jours, salvatrice, conduit la vigne à reprendre son activité et les baies à poursuivre leur maturation. Au fil des jours, à la dégustation, les peaux s’affinent, les pulpes se détachent des pépins, il faudra faire preuve donc de patience pour atteindre les parfaits équilibres !

Pendant ce temps, la cueillette des blancs s’enchaîne tranquillement, le vendredi 26 août sur le Viognier de Chery où l’expression des arômes épicés des millésimes solaires efface le variétal. Cela s’annonce prometteur.
Lundi 29 août, l’équipe de vendangeurs en haut de la Colline débute la cueillette de l’Ermite blanc, qui en altitude a pu profiter de la chaleur sans contrainte. Il semble loin le temps où il fallait attendre fin septembre pour cueillir cette parcelle.

Mardi 30 août, nous frémissons à l’approche d’un orage, mais il ira se perdre derrière la Colline. La reprise de la végétation se généralise sur
l’ensemble des parcelles de manière assez surprenante pour cette période. Les baies n’ont pas pour autant grossi mais la dégustation nous
fait pressentir de belles choses en construction sur les Terroirs granitiques.

Fin août, juste avant une nouvelle pluie, nous allons à Ampuis chercher la Mordorée et Neve afin d’éviter un déséquilibre potentiel dans les
baies. Les maturités phénoliques abouties au contraire vont sublimer la finesse et la race des Côte-Rôtie.
Alors qu’un orage rarement aussi localisé vient effleurer l’est de l’Hermitage, le reste de la Colline reste “au sec” comme si une frontière protectrice s’était installée. On avait tant souhaité la pluie qu’il n’en faudrait plus trop maintenant ! Dimanche 4 septembre, ce seront les Vendanges du Coeur après deux années d’absence, très beau moment de partage. La Colline s’est métamorphosée, le vert émeraude sublime le paysage.

Mercredi 7 septembre, alors qu’au loin arrive un épisode cévenol, la cueillette de Varogne débute. Et nouvelle pluie qui nous tourne autour, mais les outils météorologiques aidant, nous pouvons poursuivre, les nuages partiront sur le Vercors. La Colline est vraiment protégée ! Jeudi 8 septembre nous allons cueillir le Saint-Joseph, le Clos et Saint- Péray Payrolles pour clôturer la cueillette des blancs septentrionaux.
Lundi 12 septembre, alors que les sécateurs sont déjà propres et rangés chez beaucoup de vignerons, le printemps semble revenu sur l’Ermite, tableau bucolique d’un vignoble perché où en fond, le Rhône serpente et anime le paysage. Nous voilà donc mi-septembre à apprécier un nouvel éveil printanier, sous une lumière extraordinaire, nous cueillons les grappes de l’Ermite.

Quelques jours de patience pour aller chercher ensuite Cornas Saint-Pierre le jeudi 15 septembre, cueillette de plénitude au-dessus des
nuages de brume de la Vallée du Rhône.
Mardi 20 septembre, Chabot, où les petites fleurs printanières au sol contrastent avec le feuillage automnal, clôture un si singulier millésime,
solaire, mais pas seulement !

Les vignes sur les Terroirs granitiques restent majoritairement imperturbables par les chaleurs et les déficits hydriques et, comme souvent sur ce type de millésime, les Terroirs d’altitude, plus frais et plus tardif (Ermite, Cornas Saint-Pierre…) tirent leur épingle du jeu alors que les jeunes vignes ont plus de difficultés à faire face aux contraintes hydriques.

Grâce à l’évolution très progressive des concentrations en sucre dans les raisins, la répétition que tous les vignerons craignaient d’un millésime tel que 2003 n’a donc pas eu lieu. Nous avons pu attendre patiemment l’obtention de maturités phénoliques plus complètes tout en récoltant des raisins aux degrés d’alcool potentiel raisonnables (13-13,5 %), équilibrant de fait les acidités modérées.

Même si les grandes lignes de 2022 s’inscrivent dans celles des millésimes solaires, la patience a été récompensée, la maturation progressive de début septembre ayant permis de gagner encore en plénitude et en finesse.

Les Marsanne présentent des degrés raisonnables (13 - 13,5 %) et des acidités étonnamment préservées sur les vieilles vignes, procurant de très beaux équilibres et un potentiel de garde intéressant. L’éclat aromatique sera un marqueur du millésime.

Les Syrah sont structurées, les degrés également raisonnables (13-14 %) offrent des équilibres plutôt frais. Les vins présentent une complexité et une austérité noble qui les prédestinent à la très grande garde.

En Vallée du Rhône Sud, la maturation des Grenache est plus lente mais le végétal habitué régulièrement à ces déficits hydriques ne souffre pas (à peine 172 mm cumulés à fin août), laissant présager un joli potentiel sur Châteauneuf-du-Pape. Les Syrah sont récoltées la semaine du 23 août et il faudra patienter jusqu’au mardi 30 août pour la récolte de Croix de Bois, agitée par l’épisode de mi-août. Et Barbe Rac, sur son plateau de galets roulés, clôture la récolte dans le sud le mercredi 14 septembre.

Les Grenache se révèlent déjà élégants et profonds. Le millésime a été particulièrement propice aux vinifications intégrant de la vendange entière (jusqu’à 30 %), en raison de l’apport de fraîcheur aromatique et la gourmandise de milieu de bouche qu’elle permet d’obtenir.

Signe que le vigneron sait aussi apprendre et qu’il s’adapte, à la vigne comme en cave, à ces millésimes solaires, presque 20 ans après le
premier millésime solaire de ce 21e siècle.