Le millésime 2023 en Vallée du Rhône : un millésime qu'il a fallu apprivoiser

Vallée du Rhône Nord 

2023, une saison viticole aux multiples facettes et un millésime façonné par des conditions climatiques exceptionnelles. Une année traversée par les déficits pluviométriques et les excès caniculaires accompagnés d'épisodes méditerranéens, des sorties de mildiou, du stress hydrique... Mais où les Terroirs se révèlent et prennent le dessus malgré tout ! 

Au ralenti 
Les pluies du dernier trimestre de l'année 2022 reconstituent les réserves hydriques des sols assoiffés avec près de 450 mm en cumul à fin décembre. Mais l'entame de la saison 2023 est marquée de façon significative par un déficit hydrique équivalent à 2020 - à peine 80 mm sur le premier trimestre, et des températures très douces sur la première quinzaine de janvier. Par la suite, cet hiver sera froid jusqu'à début mars avec des températures régulièrement négatives en février.
La taille de la vigne commence début février par les secteurs tardifs. Les badigeons sur les plaies de taille s'enchaînent ; les échalas sont changés et les terrains sont prêts à accueillir les plantations de cette année prévues sur Ampuis et Saint-Péray, entre autres. 
Mi-mars, les bourgeons commencent à gonfler sur certaines parcelles en Hermitage, avant les premiers pleurs de sève. Le débourrement s'amorce début avril avec la remontée en douceur des températures, après une première semaine d'avril très froide mais sans gelée. Le débourrement assez tardif et lent laisse présager des vendanges "classiques" sur septembre. Les sols semblent encore endormis, tant la végétation est absente avec le manque d'eau. Il faut attendre les pluies printanières des mois d'avril et de mai (120 mm en cumul) pour mettre un coup d'accélération dans cette amorce de saison au ralenti. 

Bourgeon des vignes

L'agitation
Un deuxième printemps démarre donc début mai avec les sols qui réagissent à la suite des précipitations : la flore printanière explose, les coquelicots commencent à peindre les formes de la Colline et les premières feuilles étalées de la vigne donnent une nouvelle dynamique avec la transformation des paysages. 
Fin mai, la floraison arrive déjà, elle sera "éclair" et simultanée sur les différents secteurs. A cette période, les premières taches de mildiou sortent. Cela s'agite dans les coteaux avec l'accélération de la pousse de la vigne. Les équipes sont fortement mobilisées entre les travaux en vert et la lutte phytosanitaire. Les pluies de mai et de juin, petites mais régulières, ne laissent pas de répit. Les capuchons sautent des baies des Syrahs et la nouaison arrive rapidement. La récolte s'annonce généreuse. Début juin, la pression cryptogamique augmente sur Ampuis et le mildiou affecte le potentiel quantitatif sur certaines parcelles. Quant aux plantations, elles ont bien démarré grâce aux arrosages réguliers et naturels des pluis printanières. La Colline est devenue verdoyante et les pousses n'en finissent plus de grimper sur les échalas. Les écimages et rognages s'enchaînent tandis que la pression cryptogamique de ce printemps durera jusqu'au retour des températures estivales de juillet.

Aléas
L'inquiétude d'une saison en déficit hydrique s'éloigne donc provisoirement avec les pluies régulières et la relative fraîcheur du mois de mai. Le mois de juin est globalement chaud avec des températures de saison mais sans excès. Alors que les travaux du sol sont arrêtés pour limiter les phénomènes d'évapotranspiration, quelques décompactages sont nécessaires sur les jeunes parcelles afin d'éviter tout stress hydrique sur les secteurs séchants avec l'été qui débute. 
Début juillet, les températures s'élèvent de manière régulière aux alentours de 30°C. Avec l'humidité matinale qui persiste, le mildiou tarde à sécher sur Ampuis malgré tous les efforts fournis. Les coteaux agités par les mouvements d'air sont épargnés tout comme les Viogniers à Condrieu.
Toutefois, un bon déclenchement de la véraison sans stress particulier apparent s'amorce mi-juillet ; le végétal est même luxuriant pour cette période par rapport à 2022 et le mildiou s'éteint enfin en Vallée du Rhône septentrionale. Bien que le mois de juillet soit globalement sec, les rares pluies sont très orageuses, parfois accompagnées de grêle venant blesser les baies sur Cornas. Les stigmates sur les bois mettront du temps à cicatriser. Mais Saint Pierre veille ! La véraison bat son plein, nous nous préparons pour des vendanges fin août - début septembre. Mais fin juillet, un déluge de grêle s'abat sur certains secteurs en Crozes-Hermitage. Le feuillage est mis à mal, mais accompagné par la valériane et des infusions de plantes, de nouvelles feuilles apparaîtront et permettront la poursuite de la maturation des baies. 

Vigne

Revirement de situation 
Jusqu'au début du mois d'août, les températures restent relativement clémentes. A compter du 8 août, tout change en une dizaine de jours et l'on passe désormais à un millésime qui s'annonce précoce... Le vent du sud, chaud, souffle et les températures s'emballent, une vague de chaleur tardive s'installe. Elle sera la plus longue pour cette période de l'année. La semaine du 21 août est marquée par des températures encore jamais enregistrées après un 15 août en Vallée du Rhône, avec des records pour la journée du 24 août. 
C'est finalement précocement que l'on débute ce millésime à l'entame caniculaire, pour rentrer nos premiers coteaux de blancs avec l'objectif de préserver fraîcheur, équilibre et de limiter les flétrissements. Au lever du jour, les équipes descendent le coteau du Méal pour débuter ce millésime 2023... un 23 août ! Une première semaine de vendanges très matinales, au temps de cueillette très court pour braver les effets de la chaleur. Une nouvelle adaptation plus que nécessaire cette année pour apprivoiser ce millésime. S'enchaîne la récolte du coteau des Murets (De l'Orée) et du Lieu-dit Saint-Joseph (Les Granits). Conséquence de ce coup de chaud, certaines jeunes parcelles ont le feuillage grillé et brûlé. Mais un deuxième millésime se joue la semaine suivante après le basculement sur une climatologie de fin septembre, à la suite d'une pluviométrie "salvatrice" de près de 100 mm sur trois jours. Bien que les coteaux aient drainé l'eau, nous devons reprendre le débroussaillage sur les plaines à la suite des sorties d'adventices après ces pluies, pour maintenir une ambiance sèche et pousser les maturités phénoliques. 

Saint-Joseph

Nous poursuivons les récoltes des Marsannes en Crozes-Hermitage et Saint-Péray. Il faut faire preuve de patience pour laisser les maturités se poursuivre et aller cueillir Chéry (Condrieu) et les Côte-Rôtie les 11 et 12 septembre. A la veille d'un épisode méditerranéen exceptionnel, nous allons cueillir le coeur du Pavillon qui a pu bénéficier d'une belle évolution, protégé par son exposition.
Pour clore ce millésime, les parcelles tardives en rouges de l'Hermitage, Saint-Joseph et Cornas ont pu profiter des nuits fraîches et de la douceur presque estivale de fin de saison pour atteindre des maturités très abouties, tout en préservant une belle fraîcheur. 
Début octobre, fin des vendanges. Ce sont sans doute les plus longues sur la durée depuis plusieurs années, où l'on retrouve différentes signatures de millésim en un seul !

Si les Terroirs granitiques des Bessards tirent une nouvelle fois leur épingle du jeu en restant imperturbables face aux aléas climatiques, les belles surprises viennent aussi d'Ampuis où les Côte-Rôtie laissent percevoir un très beau potentiel. 
La tendance nous donne des acidités totales assez basses mais de jolis pH (Syrah à 3,6 - 3,8) et une bonne fraîcheur gustative. Les vins sont colorés et présentent des profils septentrionaux avec des structures fraîches. Quant aux Marsannes récoltées précocement, elles laissent l'expression de la minéralité surprendre sur cette entame de millésime caniculaire.

Vallée du Rhône Sud 

Dès le premier trimestre de cette année, le déficit hydrique vient ralentir le démarrage du printemps (à peine 36 mm de pluie sur ces 3 mois) et celui du débourrement qui ne commence que début avril. La sécheresse hivernale dans la Vallée du Rhône Sud est oubliée un temps avec les précipitations printanières et l'enthousiasme revient au mois de mai avec le renouveau et la dynamique amorcée par le végétal qui prend enfin son élan (175 mm sur mai et juin en cumul). Les paysages se transforment avec la vie qui renaît sur les parcelles où les coquelicots rougissent les sols. 

Fin mai, les inflorescences sont déjà bien visibles et annoncent une récolte généreuse. La floraison se passe idéalement et la couleur du Grenache est quasiment absente... Tout s'amorce bien pour ce millésime. Si les températures diurnes sont déjà bien élevées avec des pics supérieurs à 30°C, les nuits restent souvent très fraîches pour la période (parfois inférieures à 10°C). Un passage orageux de grêle vient nous rappeler que rien n'est acquis d'avance malgré tout... "Fac et Spera". 
Début juin, stade "petit pois", la végétation continue sa croissance et les Grenaches conduits en gobelets ne sont que légèrement écimés afin de favoriser "l'effet parapluie" pour protéger les grappes de l'agression du soleil et des phénomènes d'échaudage. Le potentiel quantitatif est désormais acquis et avec le paysage méditerranéen marqué de stress hydrique, nous préférons décompacter certaines parcelles afin d'assurer une bonne maturation des grappes et éviter tout blocage plus tard ; nous savons que ce cépage peut être capricieux sur la maturation phénolique en cas de déficit hydrique. 
Bien que le mistral souffle timidement pendant cette période, la pression phytosanitaire est très contenue avec cette saison sans excès de précipitations. A l'approche de la véraison, les vieilles souches de Grenache se dressent tels des arbres désormais, et le chant des cigales bat son plein sous la chaleur estivale. La croissance du végétal s'arrête, mais les apex pour le moment tiennent, signe que la vigne ne souffre pas... encore. Les températures vont rester modérées pour la période, ce qui permet sans doute de passer l'été sereinement. Fin août, après 5 jours à plus de 40°C, des signes de défoliation s'amorcent sur les Terroirs contraints et dont les réserves hydriques sont limitées. Alors que sur Croix de Bois les argiles profondes permettront d'éviter ces phénomènes, voilà que le vent se met à se lever et déshabiller les pieds assoiffés. 
Nous débutons les vendanges par les Clairettes, au lendemain de ces journées exceptionnellement chaudes pour cette période et qui ont précipité la maturation. Les Syrahs, dont l'évolution s'est accélérée sont récoltées fin août. Et début septembre, les premiers Grenaches rentrent en cave. Si le millésime démarre précocement, l'obtention de maturités phénoliques abouties nous amène à vendanger Croix de Bois le 11 septembre. Quant à Barbe Rac, il est ramassé à une période proche de l'équinoxe automnal. Signe que les Terroirs ont pris le dessus sur ce millésime et que le Grenache est plus adapté à ce climat solaire. Cette belle saison dans le sud, à l'entame sèche, au printemps frais et aux chaleurs modérées jusqu'en août, avec des travaux viticoles adaptés, a permis aux Grenaches d'atteindre une belle maturité. La dégustation des baies révèle déjà des arômes de fruits frais aux notes de fraise et de cerise noire, annonçant un grand millésime pour ce cépage.


Vendanges